- Auteur : Thomas Gueller
Bordeaux primeurs 2024, la campagne de tous les dangers
À peine la semaine officielle des dégustations en primeur terminée, les propriétés ont décidé de mettre leur production en marché. Il faut dire que le climat des affaires ressemble à s’y méprendre à la climatologie du millésime : nuageuse et morose, d’où une campagne commencée dans la précipitation, sans mauvais jeu de mots.
Il est vrai que le contexte international est complexe. La politique protectionniste de Donald Trump et les taxes douanières plongent les acteurs dans un attentisme négatif, tandis que la chute du dollar ne joue pas en faveur des acheteurs américains. Au 7 mai 2025, la monnaie américaine avait cédé près de 7% face à l’euro, renchérissant d’autant les prix des importations.
Si l’on couple à cela le silence assourdissant des acheteurs chinois qui ne sont pas revenus à Bordeaux depuis la crise Covid, on comprend que la campagne de sortie des vins en primeur se soit ouverte dans une ambiance délétère. Et si l'on ajoute en plus les premières notes publiées dans les médias de référence, on comprend combien la campagne apparaît complexe.
D’ailleurs, un rapide tour d’horizon des forums de consommateurs les plus en vue, notamment aux États-Unis, suffit à comprendre les interrogations des acheteurs. Dénommé par certains « millésime Costco », du nom de la chaîne d’hypermarchés qui revend actuellement les millésimes 2019 et 2021 en dessous des prix des sorties primeurs de l’époque, on comprend que les consommateurs américains ne trouvent plus d’avantage dans ce système, qu’il soit économique ou spéculatif, une donnée importante à prendre en compte de ce côté de l’Atlantique.
Résultat, la Place de Bordeaux fait grise mine et, selon un acteur important : « Ce sera la pire campagne de primeurs jamais enregistrée à Bordeaux. » Sur ces entrefaites, les premiers prix sont désormais connus. Château Pontet-Canet a ouvert le bal au prix de 50 € HT ex-château, soit un prix ex-négoce de 60 € HT, identique à celui des millésimes 2012 et 2013. Château Branaire-Ducru a également baissé son prix de 17,6%, à 26,50 € HT ex-négoce. Par la suite, le 1er cru classé Château Lafite Rothschild fut le premier des très grands crus à annoncer un prix de sortie à la baisse, puisqu’à 288 € HT ex-négoce, il revient au prix du millésime 2014. Il fut suivi par Château Angelus, proposé à 180 € HT ex-négoce, soit une baisse de 31,2%. Le 6 mai, Château Cheval Blanc a mis en marché son 2024 à 276 € HT ex-négoce, soit une baisse de 29,5%, tandis que Château Smith Haut Lafitte rouge était proposé à 62,40 € HT ex-négoce, soit ‑18,7% par rapport au millésime 2023. Le 7 mai, Château Haut-Bailly a fait sensation en proposant son millésime 2024 à 57,60 € HT ex-négoce, soit la plus forte baisse pour l’instant (‑36,1%). Pour rappel, son millésime 2016 a été mis en marché à 84 €, laissant transparaître toute la difficulté pour une marque de positionner un juste prix sur le long terme, rappelant aux acteurs qu’il s’agit bien là de la campagne de tous les dangers, si ce n’est la campagne de trop.
« Cette campagne est un fiasco ! »
Laurent Fortin, dirigeant du margaux grand cru classé Château Dauzac et du négociant bordelais Maison Montagnac
« Il n’y a quasiment pas un pays au monde où il n’y a pas d’inquiétudes géopolitiques. À cette situation conjoncturelle s’ajoutent des problèmes de financement. Résultat, tous les négociants déstockent ou font du “broking” avec des marges ridicules, sciant ainsi encore plus la branche de la valorisation. Encore faut-il qu’il y ait des clients en face, car les grands acheteurs estiment qu’ils pourront acheter les mêmes vins aux mêmes prix dans deux ans, alors pourquoi immobiliseraient-ils leur trésorerie ? Les premiers grands crus classés se sont vendus mais qu’en est-il de leurs seconds vins et des autres grands vins ? Il va falloir faire le dos rond et, surtout, maîtriser sa distribution pour que tout le monde puisse retrouver de la marge, donc accorder des exclusivités territoriales ou vendre en direct. »