Reportage produits

Reportage produits

Comment nommer une boisson qui a suivi la fermentation d’un vin classique mais d’où l’alcool a été retiré ? Le nom doit-il spontanément signifier au consommateur ses origines vinicoles et s’en remettre à la tradition ou faut-il s’en éloigner ? Comment traduire alors, dans le choix du nom, une promesse de « plus » alors que le produit est « moins » ? L’agence de naming Labbrand, spécialiste de la création de noms, s’est livrée à une analyse linguistique du nom des vins sans alcool, étude qui constate que ces deux tensions structurent cette catégorie de boissons. « Mais la première a tendance à s’amoindrir alors que la seconde serait plutôt en quête de toujours plus de modernité et en phase dynamique », indique Nadège Depeux, verbal brand strategy director chez Labbrand.

Parmi les acteurs des vins sans alcool, il y a ceux qui cherchent, dans le nom de leur marque, à entretenir une relation plus ou moins étroite avec l’univers traditionnel du vin et ceux qui s’en affranchissent, là encore plus ou moins, certains allant jusqu’à explorer de nouveaux concepts. « L’analyse linguistique des noms dans cette catégorie de boissons montre qu’elle se structure en fonction de ces deux tensions, explique Nadège Depeux. Cela permet de faire émerger quatre grandes familles de vins sans alcool, selon leur positionnement entre tradition et modernité : Du vin avant tout ; Vin et petit changement ; Une démarche assumée, Un nouvel état d’esprit. » Dans la première vision du vin sans alcool, les noms reprennent classiquement les codes du vin et utilisent des toponymes ou des patronymes. Dans le premier cas, il s’agit de manifester un ancrage au terroir et de rassurer ainsi le consommateur avec des références à la région et dont il a l’habitude. « L’usage d’un nom ou d’un prénom fait référence au savoir-faire et à la transmission. C’est une autre façon de se rapprocher du vin traditionnel et qui permet une identification rapide de la part du consommateur. » Dans cette famille du « Vin avant tout », la référence au sans-alcool passe uniquement par la mention ajoutée en complément : 0%, alcool free

Comment évoquer subtilement la notion de « moins »

Dans la famille « Vin et petit changement », le nom choisi présente un twist visant à mettre en évidence l’absence d’alcool. Elle se décompose entre les « Tradi 0 » et les « Petites choses ». « Dans le premier cas, les marques cherchent à lever les doutes que pourrait avoir le consommateur dans sa filiation avec le vin. Celui-ci et la vigne sont donc mis en avant pour lui signifier qu’il va retrouver le goût du vin mais sans ses méfaits. L’exemple le plus frappant est sans aucun doute celui de ce sans-alcool nommé Levin. Le tout avec une touche de modernité et en jouant graphiquement ou phonétiquement avec le 0 ou le zéro. On peut citer Rib0 de la Cave de Ribeauvillé. Cette vision reste très ancrée dans la tradition du vin mais initie un début d’histoire spécifique du vin sans alcool. » Dans les « Petites choses », les noms comme Le Petit Béret, Le Petit Chavin, veulent évoquer subtilement la notion de diminution, à travers l’idée traditionnelle du « petit » verre de vin. « L’adjectif “petit” permet aussi une certaine proximité avec le consommateur par la sonorité affective qui s’en dégage. »

Et il y a ceux qui n’hésitent pas à assumer leur démarche et qui revendiquent le vin sans alcool comme tel. Dans cette famille, on trouve les « Modérés assumés » qui, dans leur nom, viennent rappeler l’injonction souvent rappelée de boire avec modération comme le fait Moderato ou encore Tempera. Ces vins affichent clairement la mention « sans alcool » sur leur étiquette. Les « Simili », quant à eux, ont choisi la stratégie du Canada Dry. « Avec des noms qui affirment : on est pareil mais on s’en fiche, comme Sosie ou Alt – pour alternative – et qui fait aussi penser à “halte”, à la consommation d’alcool, donc. » Les « Bold zéro » vont un peu plus loin dans l’assurance du sans-alcool et en prennent totalement le parti directement dans leur nom. « Il n'est plus question d'une simple modération ; on accentue fortement le zéro avec des noms qui claquent comme le Nooh du Château La Coste. Ils font le choix de se nommer en opposition aux vins classiques. » La dernière famille se caractérise par un « Nouvel état d’esprit ». Et cela commence par les « Libérés, délivrés ». « Ils font souvent le choix d’expressions anglaises. Au-delà de la distance prise par rapport au lexique français, traditionnellement porteur d’authenticité, leur nom revendique une consommation sans restriction, totalement “fun” et qui véhicule une idée de liberté comme Born to be Free. Certains y ajoutent même un trait d’humour comme Low Matter What ou No Limit. »

Une catégorie en recherche de territoires spécifiques

Dans cette famille, toujours mue par ce « Nouvel état d'esprit », des noms de marque cherchent à utiliser des expressions et mots positifs et se classent ainsi dans la catégorie « Nouvelles vies, joie de vivre ». « Ces vins nous souhaitent une bonne et heureuse expérience qui nous rappelle le slogan : “Sans alcool, la fête est plus folle”. Par exemple, le nom Bonne Nouvelle salue l’arrivée du vin désalcoolisé qui va pouvoir enfin satisfaire les désirs de celui qui aime le goût du vin mais n’en boit pas pour diverses raisons. Il y a aussi Bon Voyage qui devient presque une raison pour boire du vin sans alcool, car avec, forcément, on voyagera sans encombre, sans compter l'invitation au voyage des sens. Oh Là Là et Oh my baie, quant à eux, jouent la carte de la joie de vivre. Enfin, parmi ceux qui cultivent ce “Nouvel état d’esprit“, certains s’appuient sur des sensations en mettant en scène des expressions poétiques, comme French Bloom, ou même Muri qui a choisi des noms très évocateurs pour élargir sa gamme tels Passing Clouds ou The Sound. Ils cherchent à raconter de nouvelles histoires, parfois empruntées à des contrées lointaines. C’est le cas avec Kisumé, qui signifie une pure obsession pour la beauté en japonais. On s’éloigne alors très nettement de l’univers du vin pour rejoindre celui des spiritueux, souligne Nadège Depeux. Dans le premier mapping des noms des vins sans alcool que nous avions établi en 2024, cette catégorie “Sensations” n’existait pas tout, comme celle des “Simili”. Nous constatons que les acteurs du sans-alcool cherchent désormais à explorer de nouvelles thématiques et exploiter le côté “modernité”, avec la volonté de réinterpréter les codes traditionnels pour créer une nouvelle réassurance pour le consommateur. Par contre, nous notons que, dans les nouvelles marques qui se créent, il y a beaucoup moins de noms patronymiques ou géographiques. À travers les noms de marque, ce secteur des vins sans alcool serait dans une dynamique de recherche de territoires spécifiques. »